Marina, les couches lavables et toi, c’est une histoire de longue date, peux-tu nous raconter ton parcours ?
Curieuse, utilisatrice, revendeur, formatrice, distributrice… fabricante ! Effectivement c’est une longue histoire. Je partage avec vous ici mon parcours. J’espère qu’il inspirera certain(e)s et les incitera à suivre leurs rêves quels qu’ils soient.
J’ai découvert les couches lavables en 2005 via une cousine. J’étais enceinte et elle aussi. Elle voulait des couches lavables en cadeau de naissance. J’ai d’abord trouvé l’idée extrémiste mais comme je suis curieuse je me suis renseignée et plus ça allait plus j’avais envie d’essayer. J’ai convaincu mon mari en lui disant que nous allions faire beaucoup d‘économies, moi c’est l’idée de ne pas mettre tous ces produits chimiques sur les fesses de mon bébé qui me tentait. Une fois que nous avons vu les poubelles de couches jetables s’amonceler la réduction des déchets était aussi une priorité.
J’avais pris un petit kit de test pour commencer et nous avons attendu les 2 mois de notre fille comme recommandé sur les forums. En fait, nous avons trouvé ça beaucoup moins galère que ça en avait l’air et nous avons adopté le système. Par contre je n’osais pas en parler autour de moi. A l’époque ce n’était pas fréquent et je n’avais pas envie d’avoir à justifier mes choix, on a tellement d’incertitudes à l’arrivée du premier enfant ! Alors quand je sortais je mettais à ma fille des « jetables ». J’avais du mal à assumer quoi !
En 2009 lors de ma deuxième grossesse je me suis repenchée sur la question et j’ai trouvé plein de sites internet qui en proposaient. On en parlait plus mais ça restait encore pour les « initiés ». La fille de Jeanne-Aurélie Delaunay (ma collègue de l’époque) souffrait d’énormes érythèmes fessiers et un jour, sur le bout des lèvres j’ai osé lui parler des couches lavables, grande découverte pour elle et choc que personne ne lui en ait parlé avant alors qu’elle pensait avoir tout essayé ! Elle a adopté les couches lavables et de fil en aiguille nous avons décidé de faire en sorte de démocratiser ces produits qui ont tellement d’avantages. Nous avons donc quitté le milieu de la production cinématographique et changé complètement de métier pour créer un lieu moderne et accueillant à Paris dédié aux couches lavables. Là enfin nous assumions complètement !
Nous avons travaillé sur le projet pendant 9 mois et en juin 2010 la boutique ApiNapi ouvrait ses portes à Paris et peu de temps après le site internet à la fois boutique en ligne et espace de conseil. Aventure passionnante qui nous a permit de rencontrer des fabricants, des familles, des professionnels, plein de bébés mais aussi de tester sur nos enfants et ceux des clients toutes les marques de couches lavables, de trouver des solutions et des astuces pour toutes les situations et toutes les familles. Bref, nous sommes devenues de véritables « expertes en couches lavables » tout en découvrant aussi l’entreprenariat et ses montagnes russes.
On nous demandait nos conseils partout en France et nous ne pouvions pas nous démultiplier (on savait que ce n’était pas possible mais on a quand même essayé, je ne vous conseille pas, on a frôlé le burn-out). Alors, nous avons pensé à regrouper et former toutes ces mamans utilisatrices de couches lavables qui avaient envie d’aider les autres parents à se lancer. C’est comme ça qu’est né le réseau des NapiAngels qui grandit encore chaque année.
Avec les années de plus en plus de crèches et collectivités font le choix des couches lavables. Cela nécessite un véritable accompagnement et nous mettons désormais notre expertise à leur service. C’est Jeanne-Aurélie qui s’occupe principalement de cette partie là aujourd’hui.
Un jour une marque canadienne nous a proposé de devenir leur distributeur exclusif en France et de revendre leurs produits aux différents revendeurs français… Boutique, site web, réseau de conseillères, accompagnement des collectivités… tiens je n’avais pas encore testé la distribution, allez on y va ! Encore une nouvelle aventure, un nouvel apprentissage, des nouveaux types de relations. J’ai beaucoup aimé et nous avons continué cette activité jusqu’à la fermeture de cette marque en 2018.
Comme j’ai toujours de nouvelles idées (je sais que c’est parfois fatiguant pour mon entourage mais c’est plus fort que moi), j’ai sans arrêt envie d’aller plus loin, d’explorer de nouvelles pistes… et c’est comme ça qu’en 2017 nous avons créé au Sénégal l’entreprise sociale ApiAfrique qui conçoit fabrique et distribue des couches lavables et serviettes hygiéniques lavables au Sénégal (vous en saurez plus à la question suivante).
Aujourd’hui je suis donc devenue fabricante et l’aventure couches lavables continue.
Je me demande où la vie et mon cerveau vont encore m’emmener… mais en tout cas j’y vais !
Qu’est-ce qui a motivé ta décision de créer ApiAfrique ?
Un jour j’ai dit : « jamais nous ne serons fabricantes, ça à l’air tellement galère ! »… et puis… la vie m’a fait changer d’avis !
Mon mari est sénégalais et à chaque séjour au Sénégal nous constations l’augmentation des déchets dans les rues et les campagnes et la présence grandissante du plastique. Parmi ces déchets, de plus en plus de couches jetables. Elles étaient, il y a quelques années, encore un produit de luxe mais l’arrivée de marques à très bas prix a changé la donne et les couches jetables importées ont inondé le marché, les femmes croyant enfin accéder à la modernité. Ces couches, de mauvaise qualité, parfois parfumées, donnent des irritations et ne sont pas fiables. Le budget familial se trouve diminué et les femmes ayant des petits revenus laissent la couche sur les fesses du bébé toute la journée faute de moyens. Côté déchets c’est la catastrophe : les couches envahissent le paysage, il y a peu ou pas de services de ramassage des déchets (imaginez si jamais personne ne venait chercher vos poubelles) et les animaux s’en nourrissent.
En offrant des couches lavables à ma belle sœur à Dakar pour son 1er bébé j’ai vu à quel point ça lui facilitait la vie : moins de rougeurs, moins de dépenses, moins de poubelles et en plus le style (toutes ses copines lui demandaient d’où ça venait) ! Je lui avais offert plusieurs marques et j’avais repéré lesquelles étaient les plus adaptées à la vie locale. Nous avons réfléchi à en importer pour les vendre au Sénégal mais cela aurait été trop cher pour la majorité des parents et n’aurait généré que peu d’emplois. Je ne trouvais pas la solution… Un soir, en rentrant chez moi en bus, ça a fait tilt : il fallait faire une couche Afrique fabriquée au Sénégal et adaptée aux contraintes locales ! Jeanne-Aurélie et moi avons demandé à mon mari et à Marianne Varale de rejoindre l’équipe et en 2015 nous nous mettions à fond sur le projet. En novembre 2016 mon mari et moi vendions notre appartement en France pour venir s’installer avec nos enfants au Sénégal et développer ApiAfrique !
ApiAfrique c’est aussi une marque de Serviettes Hygiéniques Lavables, pourquoi produire cette gamme et notamment la « Trousse 1ère règle » ?
Nous étions partis à 100 % sur les couches bébé mais Marianne avait fait aussi des prototypes de serviettes hygiéniques et en les montrant aux femmes nous nous sommes aperçus que ça les intéressait énormément. Nous avons creusé et découvert que personne ne parle des règles, que les filles et les femmes galèrent tous les mois, qu’elles sont très mal informées, qu’il y avait un énorme tabou autour des règles et que ça leur complique vraiment la vie. Par exemple, vous avez sans doute lu/vu que beaucoup de filles ratent au moins 1 jour d’école pendant leurs règles. Nous avons donc finalement donné une grande place à la gamme féminine et développé le programme d’information et de sensibilisation « changeons les règles » avec plein de partenaires locaux. Je me retrouve à aller parler des règles dans les villages, à animer des ateliers mère-fille, à rencontrer des gynécologues, des sages-femmes, des mamans… des jeunes filles. C’est passionnant !
Un jour une ONG nous a demandé de réfléchir à un Kit pour les jeunes filles et nous avons développé la trousse Premières Règes : un beau petit sac imperméable avec une bandoulière (pour avoir les mains libres aux toilettes), des serviettes lavables Apiafrique, un livret d’information de 16 pages sur les règles. Ce kit est tellement beau et complet qu’il a tout de suite plu à tout le monde. Chacun pouvant l’offrir dans son entourage et transmettre infos et produits facilement aux jeunes filles. Même les papas nous en achètent et sont fiers de pouvoir faire leur part pour leur fille.
De la conception, à la vente en passant par la production, peux-tu nous décrire les gens qui travaillent pour ApiAfrique ainsi que les méthodes utilisées ?
Alors chez ApiAfrique aujourd’hui nous sommes 22 (19 femmes et 3 hommes) ! Marianne en France fait les prototypes, les patrons et le choix des matières premières. Treize couturières et un tailleur fabriquent les produits en plusieurs équipes : l’équipe couches, l’équipe serviettes, l’équipe découpe, emballages (et oui nous les faisons nous-même), pochettes et sacs. Une des couturières est devenue il y a peu la responsable qualité et elle vérifie tous les produits qui sortent de l’atelier. Il y a aussi une responsable d’atelier et une équipe de 2 femmes qui gère le stock des produits finis et les préparations de commande. Nous avons aussi souvent l’aide de super stagiaires qui viennent prêter main forte sur un ou plusieurs domaines et c’est précieux. Au bureau il y a mon mari qui gère avant tout l’administratif, les finances et le personnel avec son assistant et moi qui gère en priorité la distribution, les partenariats, le marketing, le programme changeons les règles… Et Jeanne-Aurélie avec ApiNapi qui gère la distribution en France !
Nous avons commencé très petit avec 2 couturières et 2 machines dans un tout petit local, en travaillant de façon très artisanale. Aujourd’hui nous nous améliorons petit à petit et grandissons avec l’entreprise en nous adaptant aux contraintes et cultures locales. Nous travaillons en priorité avec du coton bio, nous recyclons et réutilisons au maximum nos chutes, nous accompagnons chaque personne de l’équipe pour l’aider à s’épanouir, nous avons même fait un petit potager !
Quels sont tes projets pour les années à venir ?
J’ai un grand projet qui me tiens vraiment à cœur : construire un Eco-centre !
Un genre d’Eco-village qui abritera notre « usine » écologique, un centre de formation, une crèche pour les enfants de nos employés, un incubateur pour entrepreneurs sociaux, un jardin en permaculture, une zone de plantation d’arbres…
Je ne vous en dis pas plus pour l’instant !
[…] Marina Ghing, fondatrice de la marque Apiafrique […]